didier | Membre | 47 messages postés |
| Posté le 16-01-2006 à 13:38:09
| pourquoi parler de la commune de Paris ? D'abord parce c'est un évènement de l'histoire de Paris sur lequel les manuels scolaires ne s'étendent pas... et pourtant elle a, par ses revendications sociales, éducatives, et plus généralement politiques, été un grand pas en avant pour faire progresser les idées. D'autre part, le Xème arrondissement a été,au cours du XIXème siècle, un arrondissement très engagé dans les combats au côté des insurgés qui souhaitaient améliorer leur sort (niveau de vie, conditions de travail, logement ...) Alors il semblerait normal qu'on expose plus souvent cette recherche de justice qu'avaient les habitants du quartier. LA COMMUNE DE PARIS La Commune de Paris de 1871 est un événement singulier. Par certains aspects, elle se rattache aux révolutions du XIXe siècle : 1830, 1848. Par d’autres, au contraire, elle annonce les grandes révolutions victorieuses du XXe siècle, qui d’ailleurs s’en réclament explicitement. Marx, opposé tout d’abord à une révolte armée des ouvriers de Paris, se rallia, après la journée du 18 mars, à la Commune. Dans La Guerre civile en France, il tira les premières conclusions de ce mouvement insurrectionnel de type nouveau : « C’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris, boutiquiers, commerçants, négociants – les riches capitalistes étant seuls exceptés. [...] La grande mesure sociale de la Commune, ce furent sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple. » Lénine, parlant des événements de 1917 en Russie, rapprochait les soviets de l’organisation de la Commune de Paris : la source du pouvoir n’est plus dans des lois préparées par un Parlement, « mais dans l’initiative venant d’en bas », des masses populaires. La police et l’armée sont remplacées par l’armement direct du peuple tout entier. Les fonctionnaires sont également remplacés par le pouvoir du peuple, ou placés sous son contrôle et révocables par lui. À la suite de Marx et de Lénine, Mao Zedong et Fidel Castro se sont ralliés à ces analyses de la Commune et en ont tiré les principes de leur action révolutionnaire. Mais on appela souvent « gouvernement du peuple » la dictature d’un parti. Et l’on vit une nouvelle bureaucratie, émanant d’un parti et non du peuple, remplacer, au nom du centralisme démocratique, l’ancien pouvoir bourgeois. Cependant, la Commune de Paris a apporté au mouvement ouvrier, en même temps qu’une expérience historique concrète, la valeur explosive du mythe. 1. Naissance de la Commune La guerre déclarée à la Prusse par Napoléon III, en juillet 1870, avait accumulé, en France, les désastres militaires. Le 4 septembre, sous la poussée populaire, la République est proclamée. Un gouvernement – auquel participent le général Trochu, président, Jules Favre et Jules Ferry – est chargé, en principe, de continuer la guerre. Le peuple de Paris, assiégé par les Allemands à partir du 19 septembre, supporte avec un courage exemplaire le froid, la faim et les bombardements. Mais il s’avère bientôt que le gouvernement dit de la Défense nationale n’est nullement décidé à la lutte, tandis que le peuple de Paris réclame la guerre à outrance. 380 000 hommes constituent la garde nationale, groupée dans ses conseils de famille et dirigée par le Comité central. L’inspiration sociale Dans chaque arrondissement se sont constitués, pendant le siège, des comités de vigilance. De son côté, le Comité central républicain des vingt arrondissements, composé de délégués ouvriers, dont beaucoup appartiennent à l’Internationale, siège depuis le 5 septembre rue de la Corderie. Deux pouvoirs commencent à s’opposer : celui de l’État bourgeois, représenté par le gouvernement du 4 septembre ; celui du peuple, encore vague et incontrôlé. Les souvenirs de la révolution de 1848, que la bourgeoisie avait accaparée à son profit et qui s’était terminée en juin par le massacre des ouvriers de Paris, sont encore vivants et subsistent, malgré les mesures de coercition prises par le second Empire. Mais, en 1860, l’Empire est obligé de modifier sa politique et d’adopter une position plus libérale. Il laisse des ouvriers français se rendre en délégation à l’Exposition universelle de Londres. Ils y découvrent une classe ouvrière mieux organisée et mieux rémunérée, et réclament, à leur retour, la création de chambres syndicales et le droit de grève. Celui-ci leur est accordé, avec des restrictions, en 1864. La même année paraît, à l’occasion d’élections complémentaires, le Manifeste des soixante , texte capital d’inspiration nettement socialiste, où les rédacteurs dénoncent l’hypocrisie de l’égalité telle que l’a formulée la Révolution de 1789 et demandent une véritable démocratie politique, économique et sociale. Enfin se constitue, à Londres, l’Association internationale des travailleurs, dont l’adresse inaugurale est rédigée par Karl Marx. Mais la section française est formée sur l’initiative d’ouvriers proudhoniens. À ces courants s’ajoute l’influence de Blanqui, qui a passé une grande partie de sa vie en prison et qui, reprenant la tradition de 1793, pense que la révolution peut être accomplie par de petits groupes organisés en sociétés secrètes prônant l’action violente. Ces diverses tendances vont s’affirmer dans l’action des hommes de la Commune. La paix des ruraux Le 31 octobre, jour où le peuple de Paris apprend l’échec de la sortie du Bourget, la capitulation de Metz et les négociations de paix, les gardes nationaux, à l’instigation des comités de vigilance, demandent la déchéance du gouvernement du 4 septembre aux cris de « Vive la Commune ! ». Le 7 janvier, L’Affiche rouge , rédigée en partie par Jules Vallès au nom du Comité des vingt arrondissements, réclame une attaque en masse, la réquisition générale, le rationnement gratuit, enfin le gouvernement du peuple. Après l’inutile et sanglante sortie de Buzenval, le général Trochu est remplacé par le général Vinoy. Jules Favre va négocier avec Bismarck. Mais, le 22 janvier, les gardes nationaux réclament, devant l’Hôtel de Ville, la guerre à outrance : les mobiles bretons tirent sur la foule. Les clubs, où depuis le siège s’est formé l’esprit révolutionnaire, ainsi que les journaux républicains sont supprimés. De nombreuses arrestations sont effectuées. Le 29 janvier, on apprend la conclusion d’un armistice qui doit permettre l’élection d’une assemblée nationale. Les conditions en sont draconiennes : désarmement de l’enceinte fortifiée de Paris, occupation des forts, paiement de deux cents millions en quinze jours. La province, qui, elle, veut dans son ensemble la paix à tout prix, élit une assemblée réactionnaire, tandis qu’à Paris la délégation des vingt arrondissements, l’Association internationale des travailleurs et la Chambre fédérale des sociétés ouvrières présentent des candidats, dont le programme est nettement socialiste et révolutionnaire : ils veulent une république qui donnerait aux ouvriers leurs instruments de travail, comme celle de 1789 remit la terre aux paysans, une république qui réaliserait à la fois la liberté politique et l’égalité sociale. Paris élit des bourgeois démocrates comme Victor Hugo ou Edgar Quinet, des jacobins comme Delescluze, des représentants comme Pyat, Malon, Gambon et Tolain. Soutenu par cette Assemblée en majeure partie composée de ruraux, le chef du pouvoir exécutif, Thiers, symbole même de la bourgeoisie, a les mains libres pour traiter avec l’Allemagne. La France devra payer un tribut de cinq milliards, abandonner l’Alsace, moins Belfort, et le tiers de la Lorraine. Le 1er mars, l’Assemblée ratifie le traité, malgré la protestation désespérée des députés alsaciens et lorrains. L’impuissance du pouvoir Délivrée de la guerre extérieure, l’Assemblée des ruraux, des hobereaux et des notables que la province a élus n’a plus devant elle que ces ouvriers, ces artisans, ces petits-bourgeois de Paris, à la fois socialistes, républicains et patriotes, qu’il faut mater. Des mesures sont prises immédiatement contre la population parisienne exténuée par les souffrances du siège : la suppression des trente sous accordés aux gardes nationaux, la suppression des moratoires concernant les loyers et les effets de commerce touchent à la fois les ouvriers, les artisans et le petit commerce. De plus, l’entrée des Prussiens dans Paris, prévue pour le 27 février, apparaît aux Parisiens comme un déshonneur. La foule manifeste et ramène les canons, payés par les souscriptions de la population parisienne, vers les hauts lieux populaires de la capitale : Montmartre, les Buttes-Chaumont, Belleville. Ces canons, ni les Prussiens ni M. Thiers ne les prendront. Les Allemands n’entrent que le 1er mars dans les beaux quartiers et en sortent le 2. Mais les mesures contre Paris continuent. Des journaux sont suspendus. Flourens et Blanqui sont condamnés à mort par contumace, pour avoir participé à la journée du 31 octobre, tandis que Jules Vallès est mis en prison pour six mois. Thiers et le général d’Aurelles de Paladine adressent deux proclamations aux habitants de Paris. Ils les mettent en garde contre les agissements d’un « Comité occulte » (le Comité central de la garde nationale), font appel aux sentiments des « bons citoyens » contre les « mauvais », fauteurs de désordre, et terminent par une menace non déguisée de recourir à la force si les circonstances l’exigent. Cet avertissement ne sera pas entendu. Dans la nuit du 17 au 18 mars, les troupes du général Vinoy reçoivent l’ordre de reprendre les canons des Parisiens. Mais on avait oublié les chevaux ; et les ménagères ont eu le temps de donner l’alerte. Le comité de vigilance du XVIIIe arrondissement, que dirigent Ferré et Louise Michel, monte à l’assaut de la butte Montmartre. Et l’on voit alors d’étonnantes manifestations : femmes, enfants, gardes fédérés entourent les soldats, qui fraternisent avec la foule joyeuse et pacifique. Cependant, le soir, deux généraux, le général Lecomte qui le matin avait donné, sans être obéi, l’ordre de tirer sur les Parisiens, et le général Clément Thomas, qui avait, en juin 1848, décimé les insurgés, sont fusillés, rue des Rosiers. 2. La Commune, gouvernement de Paris Devant cette extraordinaire impuissance du pouvoir, Thiers se réfugie à Versailles, et donne aux troupes l’ordre d’abandonner Paris. Étrange victoire remportée sans violence (exception faite de l’exécution des deux généraux), sans combat, et par une foule anonyme. Nulle organisation ne l’a préparée, ni le Comité central de la garde nationale, ni le Comité des vingt arrondissements, ni les comités de vigilance des quartiers, ni l’Internationale ; mais des hommes issus de ces différents mouvements, poussés par la foule anonyme, ont pris des initiatives individuelles et incoordonnées. Le 19 au soir, des hommes inconnus la veille, mais mandatés par le Comité central de la garde nationale, siègent à l’Hôtel de Ville. Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? S’agit-il d’un gouvernement révolutionnaire ? À ces questions que se posent les Parisiens, le Comité central répond immédiatement par deux proclamations. Dans l’une, il remercie l’armée de n’avoir pas voulu « porter la main sur l’arche sainte de nos libertés » et appelle Paris et la France à « jeter ensemble les bases d’une république acclamée avec toutes ses conséquences, le seul gouvernement qui fermera pour toujours l’ère des invasions et des guerres civiles ». En conséquence, le Comité central appelle le peuple de Paris à de nouvelles élections. Un appel comparable est adressé aux gardes nationaux. Bien qu’il décide « de conserver, au nom du peuple », l’Hôtel de Ville, le Comité central ne se considère donc pas comme un gouvernement révolutionnaire, mais comme l’agent qui va permettre au peuple d’affirmer sa volonté par de nouvelles élections. Il fixe ces élections au 22 mars, et, en même temps, assume le gouvernement de Paris ; il lève l’état de siège, rétablit la liberté de la presse, abolit les conseils de guerre, accorde l’amnistie à tous les condamnés politiques et assure leur libération. Enfin, il envoie des représentants dans les différents ministères abandonnés par leurs titulaires, qui ont suivi Thiers à Versailles. Par ces mesures, le Comité central agit comme un gouvernement, le gouvernement de Paris, face à celui de Versailles. Mais, ennemi de la guerre civile, il ne prend pas d’initiatives militaires ; il ne s’attaque pas non plus aux puissances d’argent : il emprunte, pour faire face aux dépenses de Paris, cinq cent mille francs à M. de Rothschild et un million à la Banque de France. Les maires de Paris et l’Assemblée nationale, dès sa première séance, condamnent ce gouvernement de factieux. Diverses tractations ont lieu sans aboutir : il ne peut y avoir de conciliation entre le peuple et la bourgeoisie. Le Comité central a, en effet, précisé son programme (23 mars). Il constate d’abord la faillite d’un pouvoir qui a mené la France à la défaite et à la capitulation : « Le principe d’autorité est désormais impuissant pour rétablir l’ordre dans la rue, pour faire renaître le travail dans l’atelier, et cette impuissance est sa négation. » Il faut donc retrouver un ordre et réorganiser le travail sur de nouvelles bases « qui feront cesser l’antagonisme des classes et assureront l’égalité sociale ». L’émancipation des travailleurs et la délégation communale doivent assurer le contrôle efficace des mandataires du peuple chargés par lui des réformes sociales. Ces réformes sociales sont : l’organisation du crédit, de l’échange et de l’association, afin d’assurer au travailleur la valeur intégrale de son travail, c’est-à-dire la disparition du profit capitaliste ; l’instruction gratuite, laïque et « intégrale » ; les libertés des citoyens (réunion, association, presse) ; l’organisation sur le plan communal de la police et de l’armée. Le principe qui doit gouverner la société tout entière, c’est celui qui organise le groupe et l’association. Il y a donc refus de toute autorité imposée du dehors, que ce soit celle d’un administrateur, d’un maire ou d’un préfet, et contrôle permanent de tous les élus. Le 25 mars, le Comité central appelle la population parisienne à choisir ses représentants : « Les hommes qui vous suivront le mieux sont ceux que vous choisirez parmi vous, vivant de votre vie, souffrant des mêmes maux. » Puis, considérant sa mission comme terminée, il se déclare décidé à céder la place aux nouveaux élus. À quoi le gouvernement de Versailles répond en appelant la population parisienne à se grouper autour de son Assemblée, contre les « criminels », les « insensés » qui déshonorent Paris. Malgré ces adjurations, 229 000 Parisiens sur 485 000 inscrits se rendent aux urnes, le 26 mars. La différence entre ces deux chiffres s’explique par la diminution de la population parisienne par suite de la guerre, du siège, des départs en province et à Versailles. D’ailleurs, la participation électorale est plus forte dans les quartiers ouvriers que dans les « beaux quartiers » de l’ouest de Paris. Le 28 mars, à l’Hôtel de Ville, les membres du Comité central remettent leur pouvoir à la Commune, puis l’on proclame la liste des élus. 3. Les communards Ces hommes qui composent la Commune sont d’origines diverses. On y trouve des bourgeois riches : ils s’élimineront d’eux-mêmes, en donnant leur démission, et seront remplacés lors des élections complémentaires du 16 avril ; puis les élus issus de la petite et moyenne bourgeoisie : employés, instituteurs, médecins, journalistes, qui avaient déjà milité sous le second Empire dans les rangs du Parti républicain, et qui constituent la majorité de la Commune ; enfin, on dénombre vingt-cinq ouvriers – chiffre inhabituel pour l’époque dans une assemblée élue –, affiliés souvent à l’Internationale, venant du Comité central, et qui se retrouvent généralement unis dans la minorité. Plusieurs tendances en effet s’expriment : la majorité groupe des blanquistes se réclamant du vieux prisonnier, qu’on cherchera par la suite à échanger contre l’archevêque de Paris, Mgr Darboy ; des jacobins, qui ont fait la révolution de 1848, et ont gardé le souvenir de la Révolution de 1789 (Delescluze incarne ce type de républicain) ; des radicaux comme Vallès et Vermorel, qui, partisans d’une république démocratique et sociale, ne décèlent pas nettement les transformations économiques nécessaires qu’elle implique. Du côté de la minorité, les ouvriers ne forment pas un bloc idéologique plus uni. Artisans, d’ailleurs, plus qu’ouvriers de la grande industrie, ils appartiennent le plus souvent au courant proudhonien de l’Internationale (Frankel, lui, est en relation personnelle avec Karl Marx). Mais par leur origine, leur passé de militants dans l’Internationale et les chambres syndicales, les élus formant la minorité de la Commune s’intéressent davantage aux questions sociales qu’aux problèmes politiques. C’est pourquoi on a pu les appeler des « socialistes révolutionnaires ». Mais nulle trace de partis, d’organisations structurées dans tout cela : s’il arrive à des membres de la minorité de voter avec la majorité, l’inverse se produit plus souvent encore. Parmi ces hommes, il y a des personnalités de premier plan : le peintre Courbet, l’écrivain Jules Vallès, le savant Gustave Flourens ; d’admirables figures d’ouvriers, comme Varlin ou Benoît Malon ; de vieux républicains, comme Delescluze qui mourut en héros sur les barricades ; mais aussi des rhéteurs vaniteux et sans scrupules, comme Félix Pyat, qu’on a pu appeler « le mauvais génie de la Commune », des imbéciles comme Allix ou Babick. Tous se trouvèrent brusquement confrontés avec des événements difficiles à vivre et à surmonter, et pour lesquels ils n’étaient nullement préparés. Ce ne sont pas seulement ces hommes qui sont au pouvoir, mais le peuple de Paris tout entier à travers les sections de l’Internationale, les chambres syndicales, les coopératives, les comités d’arrondissement coiffés du Comité central républicain, et les clubs. Ces derniers, qui existaient déjà pendant le siège, se sont multipliés et l’on y discute des problèmes immédiats d’organisation et de défense, mais aussi de questions plus générales : la femme dans la société, les relations du capital et du travail, etc. D’autre part, les femmes ne restent pas inactives : groupées dans l’Union des femmes pour la défense de Paris et les secours aux blessés, fondée par une amie de Marx, Elizabeth Dmitrieff, on les voit aussi dans les comités de vigilance, dans les clubs, et, comme cantinières, ambulancières ou soldats, jusque sur les remparts. Enfin, le Comité central de la garde nationale, qui malgré ses déclarations n’a nullement abdiqué, continue à tenir ses séances et à prétendre diriger la lutte. Il crée ainsi, à côté de la Commune, un second pouvoir, facteur d’anarchie. 4. Une société nouvelle L’esprit d’une révolution Dès le 29 mars, la Commune décide de former dix commissions correspondant aux différents ministères que le Comité central avait pris en main, à l’exception de celui des Cultes qui est supprimé. Le 19 avril, dans une déclaration, elle explique ses buts au peuple français : reconnaissance et consolidation de la République, une république non plus centralisée, mais qui serait le résultat de la fédération de toutes les communes de France. Suit l’énumération des droits de la commune : vote du budget communal, organisation de la magistrature, de la police, de l’enseignement, recrutement de tous les fonctionnaires par élection ou concours, administration des biens appartenant à la commune, garantie absolue de la liberté individuelle, de la liberté du commerce, de la liberté du travail, intervention permanente des citoyens dans les affaires de la commune, organisation de la garde nationale par l’élection des chefs. La Commune de Paris se défend de vouloir, comme l’en accuse le gouvernement de Versailles, imposer sa dictature aux autres communes de France, ou poursuivre la destruction du pays. Elle refuse, au contraire, la centralisation « despotique, inintelligente, arbitraire ou onéreuse » qui a été imposée à la France par la monarchie, l’Empire et la république parlementaire. « Nous avons la mission d’accomplir la révolution moderne la plus large et la plus féconde de toutes celles qui ont illuminé l’histoire. » Ce texte essentiel éclaire l’œuvre que la Commune va essayer de réaliser, sans plan ni méthode, dans une suite d’improvisations et dans un délai très court. Il s’agissait, en fait, de détruire la société et le gouvernement traditionnels, et de les remplacer par une société totalement nouvelle visant non plus au gouvernement des hommes, mais à l’administration des choses par les hommes eux-mêmes. Ce projet de décentralisation aurait pu recevoir l’appui d’une partie de la province, s’il y avait été connu. La Commune essaya bien d’envoyer des émissaires dans les départements et de lancer un appel aux paysans. Des villes comme Lyon et Saint-Étienne avaient connu des soulèvements dès le mois de septembre ; le 18 mars avait eu quelque retentissement à Marseille, à Narbonne, à Toulouse, à Grenoble, à Limoges. Mais la situation avait été rapidement reprise en main par le gouvernement. Intoxiquée par la propagande versaillaise, la province, dans son ensemble, resta hostile à Paris. Essais d’organisation La Commune remet en marche les services publics, désorganisés par le départ d’une grande partie des fonctionnaires et administrés provisoirement par le Comité central. Il faut que Paris, qui a tant souffert de la faim pendant le siège, puisse se nourrir. Viard et la Commission des subsistances prennent des mesures de taxation du pain et de la viande, et, en liaison avec les mairies, assurent le contrôle des halles et marchés. Le service des Postes est rétabli en quarante-huit heures. Un conseil des Postes, créé au début d’avril, comprenant des représentants du personnel, sorte de « commission paritaire » avant la lettre, devait décider du recrutement et de l’avancement des fonctionnaires. Un ouvrier bijoutier, Camelinat, membre de l’Internationale, dirige la Monnaie. Le service de l’Imprimerie nationale imprime les affiches de la Commune. Contrainte de réorganiser le service de santé, la Commune décrète, le 13 avril, la constitution de compagnies d’ambulances. Dans les arrondissements, les bureaux de bienfaisance sont remplacés par l’assistance communale. En ce qui concerne la Justice, la Commune décide la gratuité du recours aux juges et le principe de leur élection, mais doit remettre à plus tard l’exécution de ce décret. Elle supprime, en outre, la vénalité des charges de notaires, d’huissiers et autres officiers publics, qui deviendraient des fonctionnaires : ces mesures auraient eu pour résultat d’enlever à l’exercice de la justice son caractère de classe. Aux Finances, la Commune avait placé un homme particulièrement intègre, un employé de banque, Francis Jourde. Il s’efforça de percevoir les recettes traditionnelles et d’éviter le gaspillage. Mais la Commune recula devant la mesure révolutionnaire qu’aurait été la nationalisation de la Banque de France, erreur qui contribua à sa défaite. Au contraire, sur le plan de l’enseignement, la Commune agit avec vigueur et continuité. Pour forger la société de l’avenir qu’elle souhaitait, il fallait former des hommes et des femmes échappant à l’emprise cléricale. D’où la nécessité de créer un enseignement gratuit, laïque et obligatoire, qui assurât à la jeunesse une formation républicaine. La Commission de l’enseignement et les municipalités de Paris firent appel à toutes les compétences, à toutes les bonnes volontés. La société de l’Éducation nouvelle convie les éducateurs et les parents à discuter des réformes à réaliser dans les programmes et les méthodes d’enseignement. Les discussions préconisent des expériences pédagogiques qui seront appliquées par la suite dans presque tous les pays. Louise Michel propose à la Commune une méthode d’enseignement dans laquelle elle accorde la plus grande importance à la formation morale des enfants. Des écoles congréganistes ont fermé leurs portes : la Commune demande aux citoyens et citoyennes qui voudraient obtenir des postes de présenter leur candidature à la Commission de l’enseignement et confie l’inspection des écoles aux membres de la Commune. Le délégué à l’Enseignement, Édouard Vaillant, invite les municipalités à créer des écoles professionnelles, en particulier pour les jeunes filles. Deux écoles sont ouvertes, l’une rue Lhomond, l’autre rue Dupuytren. La Commune décide en outre de relever les traitements des instituteurs et institutrices. Pour la première fois, on proclame l’égalité des salaires entre les hommes et les femmes. Bien que, sous l’influence proudhonienne, la Commune se montrât souvent hostile aux femmes, en dépit de l’aide incontestable qu’elles lui apportèrent, des mesures sont prises qui ont pour conséquence de reconnaître la famille prolétarienne, telle qu’elle existait réellement, et de faire éclater les structures traditionnelles instituées par les lois civiles et religieuses : pour le paiement des pensions des fédérés tués au combat, la Commune ne fait pas de distinction entre les femmes mariées ou non, entre les enfants légitimes ou naturels. La question du travail Mais c’est dans le domaine du travail que la Commune de Paris amorce son œuvre la plus profonde de précurseur. La Commission du travail, de l’industrie et des échanges est dirigée par un ami de Marx, Frankel, qui avait reconstitué, avec Varlin, le conseil fédéral de l’Internationale. « Nous ne devons pas oublier, déclare-t-il le 13 mai, que la révolution du 18 mars a été faite par la classe ouvrière. Si nous ne faisons rien pour cette classe, je ne vois pas la raison d’être de la Commune. » Une première série de mesures de caractère social concerne les loyers, les échéances et les dépôts au Mont-de-Piété. Dès le 30 mars, la Commune décrète la remise des termes d’octobre 1870, janvier et avril 1871, sans contrepartie pour les propriétaires ; le 25 avril, les locaux abandonnés doivent être réquisitionnés en faveur des habitants dont les appartements ont été endommagés par les bombardements. La Commune décide, après de longues hésitations, que le remboursement des échéances commencera seulement à partir du 15 juillet 1871 et sera étalé sans intérêts sur trois ans. Les objets d’une valeur inférieure à vingt francs, déposés au Mont-de-Piété, « cette banque du pauvre », peuvent être dégagés gratuitement. Le travail de nuit des boulangeries est supprimé le 20 avril, ainsi que la pratique courante des amendes et retenues opérées sur les salaires par les patrons. D’autres mesures vont beaucoup plus loin. Le 16 avril, un décret constitue une commission d’enquête formée par les chambres syndicales. Celles-ci sont chargées de dresser la liste des ateliers abandonnés et de présenter un rapport qui permette de les remettre en marche par les soins d’associations coopératives des ouvriers qui y sont employés. Un jury arbitral devait établir, par la suite, l’indemnité payée aux patrons s’ils revenaient. Malgré cette réserve, ce décret constituait, en fait, une expropriation du capital au profit des coopératives ouvrières. Les ouvriers mécaniciens et métallurgistes, puis les tailleurs, les ébénistes, les cloutiers, les boulonniers nomment des délégués à la Commission d’enquête, qui tient deux séances, les 10 et 18 mai. L’Union des femmes, de son côté, suscite dans le même sens un projet d’organisation du travail des femmes, qui doit éviter le piège des ateliers charitables, tels qu’ils fonctionnèrent en 1848. Elle convie les ouvrières à la réunion du 18 mai, pour contribuer à l’élection des déléguées qui constitueront la Chambre fédérale des travailleuses. Enfin, pour éviter les baisses de salaires, Frankel propose que les marchés d’habillement militaire soient passés directement avec les coopératives ouvrières. 5. La Commune combattante Entre la dictature et l’anarchie Mais la Commune gouverna dans le désordre, oscillant sans cesse entre la dictature et l’anarchie. Les responsables des diverses commissions chargées des services ministériels changèrent à plusieurs reprises, en ce qui concerne particulièrement les affaires militaires. Comme la situation s’aggravait, les « jacobins » de la Commune firent voter, par 45 voix contre 23, la formation d’un Comité de salut public, dont l’intervention dans les affaires de la guerre fut particulièrement malheureuse. Renouvelé, avec l’appui de la minorité cette fois, après la démission du délégué à la guerre Rossel, le nouveau Comité de salut public prit quelques mesures salutaires, mais trop tardives. La lutte entre majorité et minorité, les rivalités de personnes minaient la Commune de l’intérieur ; à l’extérieur, l’ingérence continuelle du Comité central de la garde nationale dans les affaires militaires paralysait son pouvoir. La prolifération anarchique de comités divers, qui soutenaient la révolution, l’affaiblissait en même temps, en particulier en ce qui concerne la défense de la Commune. La Commune se méfiait des militaires qu’elle avait délégués à la guerre : de l’aventurier Cluseret aussi bien que du généreux Rossel. Les gardes nationaux les plus ardents étaient des combattants révolutionnaires, qui répugnaient à une discipline nécessaire. Enfin, des tentatives de conciliation de la part de l’Union des chambres syndicales, de l’Union républicaine des droits de Paris, des députés de Paris, des membres de la franc-maçonnerie, alors qu’il ne pouvait y avoir de conciliation entre la Commune et Versailles, n’eurent pour effet que d’amoindrir la résistance de Paris. Une lutte inégale Paris n’eut jamais plus de 40 000 combattants, auxquels il faut ajouter des femmes et des adolescents. Thiers, au contraire, avait, avec l’appui de Bismarck, reformé son armée : elle comptait 63 500 hommes, auxquels s’ajoutèrent 130 000 prisonniers libérés d’Allemagne. Jusqu’aux élections de la Commune, il n’y a guère que quelques escarmouches. Mais, le 30 mars, les fédérés sont délogés du rond-point de Courbevoie. Le 2 et le 3 avril, les fédérés essayent de prendre l’offensive. Flourens et Duval sont exécutés par les « versaillais ». À ces exécutions de prisonniers, la Commune répond par le « décret des otages », qui d’ailleurs ne sera pas appliqué. Du 11 avril au 21 mai, la lutte se poursuit autour de Paris. Le général de la Commune, Dombrowski, inflige aux versaillais des pertes importantes. Mais, après une courte trêve qui permet aux habitants de quitter Neuilly en ruines, les versaillais reprennent leurs attaques. Les forts du Sud sont intensément bombardés. Le fort d’Issy, abandonné un moment, est repris par les fédérés. C’est alors que la Commune remplace Cluseret par Rossel (30 avril), qui essaie en vain de réorganiser l’armée fédérée. À partir du 1er mai commence le bombardement systématique de Paris par l’armée versaillaise. Dans la nuit du 3 au 4 mai, la redoute du Moulin-Saquet tombe, puis, le 8, le fort d’Issy, qui n’est plus qu’une ruine. Las, dégoûté, Rossel donne sa démission de délégué à la Guerre ; il est remplacé par un délégué civil, le vieux jacobin Delescluze. Le 13, le fort de Vanves tombe à son tour. Passy, Grenelle, Auteuil, la Muette croulent sous les obus versaillais. L’énergie du désespoir Le dimanche 21 mai, les troupes gouvernementales entrent dans Paris par la porte de Saint-Cloud. Pendant une semaine, les combattants de la Commune luttent quartier par quartier, maison par maison, barricade par barricade. Les versaillais fusillent tous ceux qu’ils prennent les armes à la main ; les premières exécutions massives ont lieu à la caserne de la rue de Babylone, tandis que les pompiers de la Commune éteignent l’incendie du ministère des Finances, allumé par des obus versaillais. Il convient de faire le point sur ces incendies de Paris, que l’on a tant reprochés aux communards. En premier lieu, les obus de Thiers avaient déjà endommagé les quartiers de l’Ouest. D’autre part, certains incendies peuvent être attribués à des agents bonapartistes, qui avaient intérêt à faire disparaître des traces de la gestion impériale. Enfin, les incendies allumés par les communards au cours des combats doivent être assimilés à des actes de guerre : ce furent des moyens militaires de s’opposer à l’avance de l’ennemi. La Légion d’honneur, la Cour des comptes, le Conseil d’État ont été ainsi la proie des flammes. Si les communards mettent le feu à la Préfecture de police et à une partie du Palais de justice, des mesures sont prises pour sauvegarder la Sainte-Chapelle et Notre-Dame. Aux massacres des habitants de Paris par les troupes régulières, la Commune répond en faisant exécuter cinquante-deux otages, dont l’archevêque de Paris, Mgr Darboy. Le 26 mai, la résistance est à son comble, tandis que les exécutions sommaires par les versaillais se multiplient à mesure qu’ils avancent dans Paris. Le 27 mai, c’est le massacre des fédérés au milieu des tombes du Père-Lachaise. Cependant, le 28, Ferré, Varlin, Gambon se battent encore au cœur du Paris populaire, entre la rue du Faubourg-du-Temple et le boulevard de Belleville. À une heure, la dernière barricade tombe. Le lendemain, le fort de Vincennes capitule et ses neuf officiers sont fusillés sur-le-champ. Un fleuve de sang Les jours suivants, les cours martiales continuèrent à condamner à mort. Il suffisait qu’une femme fût pauvre et mal vêtue pour être exécutée comme « pétroleuse ». La Seine était devenue un fleuve de sang. Le 9 juin, Paris-Journal écrivait encore : « C’est au bois de Boulogne que seront exécutés à l’avenir les gens condamnés à la peine de mort par la cour martiale. Toutes les fois que le nombre des condamnés dépassera dix hommes, on remplacera par une mitrailleuse le peloton d’exécution. » L’« armée de l’ordre » avait perdu 877 hommes depuis le début d’avril. Mais on ne sait exactement combien d’hommes, de femmes et d’enfants furent massacrés au cours des combats ou sur l’ordre des cours martiales. On peut sans doute avancer le chiffre de trente mille victimes. À Versailles, on avait entassé plus de trente-huit mille prisonniers. On en envoya aussi dans des forts et sur des pontons. Beaucoup moururent de mauvais traitements. Pour juger les vaincus de la Commune, quatre conseils de guerre fonctionnèrent jusqu’en 1874. Il y eut 10 042 condamnations et 3 761 condamnations par contumace. Ferré, Rossel se montrèrent devant les conseils de guerre à la hauteur de leur destin. Ils furent condamnés à mort et fusillés. Le plus grand nombre fut déporté en Nouvelle-Calédonie ou en Guyane. D’autres réussirent à gagner la Belgique, la Suisse et l’Angleterre. L’amnistie, votée en 1880, ramena en France les derniers survivants. 6 - Les leçons de la Commune Certes, la Commune a commis de lourdes fautes. Elle n’a pu ni organiser sa défense, ni lier son action à celle de la province et de la paysannerie. Sans doute les conditions économiques n’étaient-elles pas mûres encore pour instaurer sur des bases socialistes la nouvelle société qu’elle entrevoyait. Mais, par les décisions prises pour l’organisation du travail (suppression du travail de nuit pour les ouvriers boulangers, suppression des amendes et retenues sur les salaires, réouverture et gestion des ateliers par des coopératives ouvrières) et par diverses mesures sociales, la Commune a tracé la voie à une société qui ne serait plus gérée au profit du capitalisme, dans l’intérêt de la bourgeoisie, mais qui déboucherait sur le socialisme. C’est donc à partir de faits très réels que Karl Marx, le premier, a pu écrire : « Le Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré à jamais comme le glorieux fourrier d’une société nouvelle. Ses martyrs seront enclos dans le grand cœur de la classe ouvrière. » Cependant, la Commune fut en majorité un gouvernement de petits-bourgeois et l’on ne saurait y trouver en germe l’idée de la dictature du prolétariat, ni même l’organisation d’un parti directeur de la classe ouvrière. Anarchistes, communistes, socialistes de diverses obédiences peuvent donc à la fois se réclamer de son expérience et en dégager, par-delà l’histoire et sans la fausser, la force élémentaire d’un mythe révolutionnaire et un espoir : celui d’une société sans classes, où régnerai la justice sociale.
Message édité le 22-01-2006 à 16:03:20 par didier |
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